Goncourt des Lycéens 2010, Enard nous présente un conte inspiré de faits historiques, une invitation à l’évasion, au voyage dans le temps et à l’exotisme. D’une invitation du Sultan, le Grand Turc, jeudi 13 mai 1506, Michelangelo Buonarroti débarque à Constantinople. On lui offre une somme faramineuse en récompense, une revanche auprès de Jules II, pape guerrier et autoritaire qui l’a si mal traité. Un pied de nez à Léonard de Vinci invité auparavant s’étant vu refusé son dessin par le Sultan, Michel-Ange étant orgueilleux et conscient de sa valeur artistique et accepte de présenter des plans pour ce pont de 900 mètres de long traversant la Corne d’or, un pont au milieu d’Istanbul, entre Constantinople et Péra, faubourg septentrional.
« Cet ouvrage doit être unique, chef-d’œuvre de grâce autant que le David, autant que la Pietà. Un pont, ce sera la cadence des arches, leur courbe, l’élégance des piles, des ailes, du tablier. Des niches, des gorges, des ornements pour les transitions, certes, mais déjà, dans le rapport entre voûtes et piliers. »
Mais Enard nous découvre également un Constantinople très romantique. Un triangle amoureux, un complot politique viendront brouiller les relations. Mesihi, guide et traducteur, épris secrètement de Michel-Ange et un danseur ou danseuse, homme ou femme, ce mystérieux androgyne envoûte l’artiste par son charme, sa beauté et sa délicatesse physique. Une brève liaison, une nuit dans le calme, il garde ce souvenir quelque part dans sa peinture et dans le secret de sa poésie : ses sonnets sont la seule trace incertaine de ce qui a disparu à jamais.
«D’Istanbul, il ne lui reste qu’une vague lumière, une douceur subtile mêlée d’amertume, une musique lointaine, des formes douces, des plaisirs rouillés par le temps, la douleur de la violence, de la perte : l’abandon des mains que la vie n’a pas laissé prendre, des visages qu’on ne caressera plus, des ponts qu’on n’a pas encore tendus.»
Une surprise que ce choix des lycéens, un court roman poétique, historique, artistique qui se laisse parcourir d’un seul trait, le tout simple plaisir de lire.