Feeds:
Articles
Commentaires

Archive for juillet 2011

Notre narrateur, en attente en salle d’urgence, une veille de Noël, Hermann, sexe masculin, domicilié au 72, rue des Échelles.  Le  numéro 17.

« Je suis un homme, j’ai quarante-six ans.  Pour ceux qui jugerait cette description un peu sommaire, j’ajouterai ceci mais tout juste, car je n’aime pas parler de moi : je suis de taille moyenne et de matière grasse, je voyage peu, de préférence à pied, et j’ai le cœur bruyant. Dernier détail et non le moindre : je suis beau, mais de dos seulement.  L’ennui avec moi, c’est que je ne sais jamais si ma vie est drôle ou triste. Je ne sais pas comment départager le grave de l’anodin ou du comique.  Combien de fois m’est-il arrivé de sourire alors que l’heure était à la gravité, et d’avoir la gorge nouée quand tout le monde prenait le parti de rire ? J’ai raté deux fois de suite l’examen de sortie pour devenir médecin.  C’est mon père après le deuxième échec : à défaut des vivants, occupe-toi des morts.  Je suis donc devenu embaumeur ou thanatopracteur.

Un second acteur va nous accompagner tout au long de cette atmosphère fantasmée. Le numéro 32, un grand gaillard assis à côté d’Hermann, doté d’un gabarit supérieur à la normale. Un pianiste affublé de battoirs et de doigts gros comme des saucisses ne pouvait faire carrière bien longtemps. Mais était devenu selon la critique “un artiste bien charpenté, dont la subtilité du jeu surprend agréablement, comme une broderie fine tout droit sortie des mains d’un anthropopithèque.” Malheureusement, le médecin lui annonce un diagnostic très peu reluisant. “Vous souffrez d’un grave déséquilibre de dopamine.  La dopamine joue un rôle dans de domaine des sensations, celles du plaisir et du désir et également responsable de la coordination des mouvements.  Pour un pianiste, votre avenir s’annonce un peu tristounet.”

Au revers de jaquette, un sourire moqueur, des yeux rieurs contagieux, l’auteure dévoile cet humour omniprésent.  Un vocabulaire recherché nous sert cet univers, cette dimension irréelle surréaliste empreinte d’une légèreté inhabituelle, une réflexion cocasse, intelligente,  tendre, sur cette courte vie sur terre. Un authentique ravissement.

 

Read Full Post »

 Nicole Krauss qui nous avait donné L’histoire de l’amour, il y a quelques années, nous revient avec La grande maison, un roman où plusieurs histoires s’entrecoupent.

Une romancière américaine qui a reçu un immense bureau en héritage d’un poète chilien, 25 ans auparavant, reçoit la visite d’une jeune femme prétendant être sa fille et est venue lui réclamer le bureau.

Tout au long de leur vie, un couple est divisé sur la façon d’élever un de  leurs fils.

Un homme découvre à la mort de sa femme, en fouillant dans ses papiers, une boucle de cheveux qui cache un secret.

À Jérusalem, un mystérieux antiquaire tente de reconstituer la bibliothèque de son père, dont le mobilier a été dispersé par les Nazis à Budapest, en 1944.

Autant de récits qui, on s’en rend bientôt compte sont reliés de façon subtile et furtive. Le bureau qui relie tous ces êtres, pivot du roman, devient à lui seul un personnage central. Parfois même un personnage maudit.

L’écriture foisonnante et dense de Nicole Krauss, parfois ardue, nous bouleverse et nous happe de façon définitive:

La réponse qui me vient et qui n’est qu’une partie de la réponse, c’est que je voulais la punir de ce stoïcisme infernal qui l’avait empêchée d’avoir véritablement besoin de moi, de la façon la plus profonde dont une personne a besoin d’une autre, un besoin qui porte souvent le nom d’amour. Bien sûr, elle avait besoin de moi – pour maintenir un certain ordre, (…), pou lui tenir compagnie, pour lui donner du plaisir et, à la fin, pour la baigner,(…), l’emmener à l’hôpital et, finalement, l’enterrer.

Cette connaissance, cette maîtrise de l’âme humaine, Nicole Krauss la possède indéniablement!

La grande maison, Nicole Krauss, éd. Boréal, 2011, c2010, 333 p.

Read Full Post »

Un rituel immuable. Ces quelques jours au cœur de l’été, trois couples partagent, depuis seize ans, des retrouvailles annuelles qui sont chères à tous. Ce plaisir d’être dans la campagne, sentir l’odeur acide du foin coupé, l’humidité de la terre, sentir sur son visage l’air frais traversé d’ondes de chaleur, qui donnent envie de la mer, envie  du soleil, du sable et du repos.

Delphine et Denis étaient partis les premiers, pour préparer leur maison. Un week-end du 14 juillet, eux et leurs amis à Coutainville. Il fallait du monde, le plus de monde possible entre elle et Denis. Et maintenant qu’ils pouvaient partager une chambre et être seuls.  Partager une maison, des enfants, des amis, et que leur indifférence mutuelle soit acceptée par tous.

Lola, reporter de guerre et Samuel,  rencontré il y a juste un an. Lola voyait Samuel comme un gamin.  Il avait douze ans de moins qu’elle, 26 ans à peine, et portait en lui l’enthousiasme de ceux qui savent peu de choses. Samuel était gentil, tout ce qu’elle aimait : enthousiaste, prévenant, plein d’énergie, et amoureux, oui, autant qu’on peut l’être quand on connaît si peu l’autre.

Nicolas et Marie, comédienne.  Cela faisait longtemps qu’on ne lui a pas proposé autant de jours de travail, en revanche c’était la deuxième fois qu’on lui proposait de jouer une grand-mère.  Elle venait d’avoir 52 ans. Nicolas, lui, voyait dans ses amis, des visages marqués par les ans, les étés au soleil, les rires, les ivresses. Il avait vu  se former les couples et puis naître les enfants.  Les femmes discutaient des hommes,  les hommes étaient fiers de leurs femmes.

De nulle part, un jeune garçon s’introduit au groupe. Dimitri semblait d’un autre temps.  Son visage un peu long, ses yeux en amande, ses lèvres minces, ses cheveux coupés ras… son physique n’était pas contemporain.  Un jeune homme qui fait planer un certain mystère dans ce petit bourg de bord de mer.

Six personnages, le temps d’un week-end, qui dévoilent leurs secrets, leurs angoisses, leurs regrets, leurs déceptions, peut sembler d’une banalité exemplaire, mais l’auteure, étrangement, d’une écriture simple, limpide, magique, réussit à capter magistralement  notre intérêt jusqu’à la toute dernière ligne.

 

Read Full Post »

Le téléphone en pleine nuit, le portable affichant un numéro russe, un accident ? Sûrement une très mauvaise nouvelle. «Jeanne après un long moment m’a soufflé : c’est Vladimir.»

Huit jours plus tard, Mathias se retrouve à Moscou et s’embarque pour le Baïkal express, la fin du voyage Novossibirsk. En quittant Jeanne, « Je l’ai embrassée sur le front, puis sur les yeux, on a tremblé. Il y a eu comme une explosion silencieuse, et je suis parti.»

De Moscou, un long périple dans ce trio amoureux, dans ces souvenirs d’une liaison embuée par l’opium, et la vodka. Trois matriochkas, ces poupées russes entrées l’une dans l’autre maintenant séparées à tout jamais. Un décor russe tout en paysage, tout en  histoire et tout en littérature.

«Nous nous excluions l’un et l’autre, Vladimir, dans nos longues hésitations, dans notre pudeur.  Je regrette, je regrette les moments flous, les moments de tendresse, l’impossibilité d’admettre que nous étions trois, cette terrible morale biologique qui nous condamne à la bijection, à la symétrie. J’irais reconduire Vladimir pour son dernier repos dans son village natal, à deux mille huit cent quatorze kilomètres de Moscou, cinq mille trois cent quarante de Paris. Des heures et des heures devant moi, seul avec Vladimir qui ne parle pas, seul avec les souvenirs, l’alcool et la nostalgie, voilà tout ce qui reste, comme disait Tchekhov,  seul avec des phrases, des vers, des souvenirs. Je vais me perdre au bout du monde, plonger dans la nuit sibérienne. »

L’alcool et la nostalgie est l’adaptation d’une fiction radiophonique de 100 minutes écrite dans le Transsibérien entre Moscou et Novossibirsk et diffusée par France Culture en juillet 2010. Dans ce petit livre au format original, qui se lit et qui mérite de se lire d’un  seul trait, à peine quatre-vingts pages, facilement une nouvelle, se cache une qualité d’écriture exceptionnelle,  Enard encore étonne par son talent gigantesque. Après Zone et Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, ce dernier ne fait que célébrer la grande diversité de l’auteur. Un maître de la prose.

 

Read Full Post »