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Archive for août 2011

Deux narrateurs se partagent le roman, Marnie et Bill nous racontent leurs drames, deux disparitions déchirantes, à trente ans d’intervalles, l’une au cœur de l’enfance, l’autre, un père pleurant sa fille.

Michael Superman Saint-Pierre, fils de Jeanne Dubé et de Victor Saint-Pierre, a disparu dans les bois de Rivière-aux-Trembles le 7 août 1979. Le village a été rapidement assiégé par des policiers déguisés en apprentis croquemorts, les chiens renifleurs lâchés,« le village a été envahi de jappements et de hurlements exprimant mieux que n’importe quel cri humain la pesanteur du drame ayant déplié ses ombres sur la légèreté de l’été. La vérité, c’est que Michael est probablement mort au fond des bois, son corps disloqué charrié par la rivière jusque dans la gueule des coyotes et des loups, à moins qu’un prédateur au visage trop humain se soit jeté sur lui pour des motifs que seule la folie peut expliquer.» Après une fuite de vingt-trois ans, la mort de son père ramène Marnie Duchamp à Rivière-aux-Trembles.

En parallèle, une petite fille nommée Billie. Billie Richard. Huit ans et neuf mois.  Cheveux bruns.  Yeux noisette.  Portait au moment de sa disparition un manteau rose à capuchon, un papillon dans ses cheveux, deux papillons sur ses chaussettes. Ressemblait aussi à un ange. La piste de Billie se perdait à la sortie de son école, à croire qu’elle s’était volatilisée dans les dernières lueurs de ce jour de janvier, sans rien laisser derrière elle, pas même une mitaine sale ou une de ces barrières en forme de papillon qu’elle perdait sans cesse. Trois ans plus tard, Bill Richard, divorcé, funestement seul,  se réfugie dans ce petit village de Rivière-aux-Trembles pour oublier, ensevelir son chagrin, tenter un nouveau départ. 

Mais à peine quelques jours après l’arrivée des deux éclopés. Michael Faber, douze ans, disparaît mystérieusement, on découvre sa bicyclette dans un fossé, une CCM dix vitesses au bleu étincelant.

La titulaire du Prix du Gouverneur 2001 nous offre, beaucoup plus qu’un polar,   ce tourment monté d’une main de maître, mot après mot, phrase après phrase, lentement l’auteur construit ce suspense psychologique d’une écriture poétique, envoûtante, onirique.  Un roman marquant qui impressionne.

 

 

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Un nord très norvégien où le froid, la neige, la noirceur, l’ennuie, l’éloignement, règnent en maître,  Deux nouveaux arrivants,  quelques mois à peine, une mère célibataire et son fils.  L’instant d’une nuit dans ce petit bourg isolé, l’auteur exploite brillamment ce thème universel, la solitude.

Une mère, un  fils se partagent abruptement le texte, sans transition, désorientant son lecteur.

Vibeke, mère.  Elle sent le besoin d’un bon livre, bien gros, du genre qui semble plus fort et plus réel que la vie elle-même. Trois livres par semaine, souvent, quatre, cinq.  Elle aurait voulu pouvoir passer son temps à lire. Assise sur le lit sous sa couette, avec du café, plein de cigarettes, en chemise de nuit chaude. Vibeke est conseillère à la municipalité.  « C’est important de travailler sur l’identité et l’appartenance pour contrecarrer l’exode, et, dans ce contexte, la culture est un instrument bien adapté.»

Jon, fils, aura neuf ans demain.  Il le sent dans son ventre, il le sent remonter aussi dans sa bouche, mais il ne le dit pas. Il sourit.  Un garçon de sa classe a eu une boîte d’avions de chasse pour son anniversaire, il y a quinze jours.  Jon voudrait un train. Märklin.  Dans un premier temps, il a juste besoin de quelques pièces, un simple chemin de fer et de préférence une locomotive. Il s’allonge sur le lit et ferme les yeux.  Il se dit que quand il ne pense à rien il doit faire complètement noire dans sa tête ; comme dans une grande pièce où les lumières sont éteintes.

Un talent très particulier, très inhabituel, étonnant par sa dimension, par la création de cette atmosphère tout à fait unique, lourde, froide, oppressante, cette tragédie tapie, latente, cette incursion minutieuse d’une simplicité exemplaire.  Un coup de chapeau reconnaissant aux Éditions Les Allusifs pour encore une découverte de cette autre littérature.

Hanne Ørstavik, née en 1969, est l’une des voix les plus importantes de la littérature norvégienne. En 2002, elle a reçu le prix Dobloug pour l’ensemble de son œuvre.  Amour est considéré en Norvège comme un classique parmi les romans contemporains.  Il est traduit dans une quinzaine de langues.

 

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Marc, artiste plasticien, branché, une quarantaine avancée, teintée par drogues et alcools, les bars à la mode sont devenus sa résidence principale, lorsque son fils de dix-huit ans, Alexandre, un soir de fête, avait médusé, puis terrifié l’assistance en se tirant froidement une belle dans la tête.

«Regarde! Ce qui vient d’arriver.  Regarde ce sang sur mes mains ! À l’entendre, je m’étais mis à pleurer comme une fontaine au moment où j’avais prononcé ces mots. »  Culpabilité, dépression sévère, Marc tombe dans un gouffre : J’étais convaincu d’avoir fait un père acceptable durant ces années-là.  J’espérais qu’il s’en souviendrait quand, vers la fin, il semblait ne plus voir en moi que son pire ennemi – au mieux un animal d’une espèce différente. Mais je n’en étais pas sûr.

 Au petit matin, au retour d’une des nombreuses beuveries, Marc ramène une jeune fille chez lui, qui trainait dans le métro à demi inconsciente, ivre, souillée de vomi. Cette étrangère se nomme Gloria, dans la vingtaine, et cache difficilement ce sentiment de haine que Marc lui inspirait « Gloria avait été la petite amie d’Alexandre et cela me suffisait, il ne fallait pas aller chercher plus loin. Seul un père pouvait ressentir ces choses.  Fut-il  un père de piètre qualité, le modèle cheap, en fer-blanc.»  Doute, méfiance, suspicion, ses amis le mettent en garde. Quelles sont les véritables intentions de cet ange déchu ? Mais malgré tout, Gloria emménage chez Marc. «Tu auras un endroit à toi.  Tu n’aurais pas à partager les toilettes et la salle de bain avec une armée. La maison est assez grande, qu’en dis-tu? J’aime bien Gloria, j’aime bien ce prénom.»

Une logique plus absurde pouvait-elle se mettre plus merveilleusement en place ? 

Djian revient avec ce talent consacré, roman maquillé en thriller ou vice versa, court, dense, au rythme soutenu, cette intrusion psychologique caractéristique de ses acteurs, une fin, pratiquement sa marque de commerce, des plus rocambolesque.  Djian a déjà fait mieux,  mais pour les fans, un incontournable.

 

 

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Un quatrième tome, ce dernier inspiré par ce voyage effectué par l’auteur en 1979-80 dans ce Maghreb, Maroc, Algérie, Tunisie. Ayant comme destination espérée l’Inde. Notre aventurier débute ce périple au Maroc malgré ce ciel parfait. « N’y va pas, Don’t go there ! C’est un pays de menteurs, de voleurs et d’escrocs. » 

 «Comment savoir puisque, à chaque instant, nos destinées sont faites de choix mal informés, de décisions prises à l’aveuglette, de hasards sur lesquels nous n’avons aucun contrôle ; puisque, à chaque instant, toutes les libertés nous sont offertes, sans que nous ne sachions vers quoi elles nous mènent.» Notre narrateur, malgré ses craintes et ses angoisses, poursuit ce voyage désorganisé, sans plan, sans horaire, sans programme,  dans ces pays qu’il découvre avec nous, ces restaurants, ces hôtels plus souvent miteux, ces autobus surchargés aux horaires très aléatoires, cette chaleur nauséabonde, torride et ces globe-trotters, qui comme lui, cherchent leur réalité. Mais cette odyssée explore-t-elle d’autres horizons ou finalement : pourtant, je sais bien qu’il n’y a pas plus de vérité ici qu’ailleurs.  Tous ces gens vivent une vie aussi illusoire que la mienne, trompés eux aussi dans leur essence même. Un texte parsemé de ces courtes lettres à un amour qu’on voit perdu :

Chère Angèle, il était une fois un voyageur parti à la recherche d’une vérité immuable et qui, de détour en détour, avait fini par se trouver complètement perdu.  Chère Angèle, ce voyageur, c’est moi.

 Un roman court, un style précis, simple, direct, sans fioritures, sans ambages, un récit qui garde son lecteur captif.  Un authentique dépaysement. Et tiré du roman qui accompagne notre voyageur dans son périple Sur la route de Kerouac « Qu’allons-nous faire de nos vies, Dean? – Oh, je ne sais pas, Sal, simplement les observer, je crois. »

 

 

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Foer troquant sa plume de romancier pour celle d’essayiste surprend avec cet essai-choc rapidement devenu un best-seller mondial. Le titre n’est pas une métaphore, oui, il veut bien dire ce qu’il présente. Faut-il manger les animaux ? «L’idée de participer à quelque chose de foncièrement mal, et en même temps accepter à la fois la complexité inextricable du sujet et la faillibilité pardonnable de la nature humaine.»

 Végétarien lui-même, on pourrait croire un éloge au végétarisme, mais : «Moi aussi je pensais que mon livre sur la consommation des animaux deviendrait un plaidoyer sans ambiguïté en faveur du végétarisme. » Pendant trois ans, une immersion totale dans ce monde d’élevage, lectures, montagne de documentations, d’interviews, observations du terrain.  L’auteur guerroie contre l’élevage industriel, la pêche,  l’aquaculture industrielle, une industrie alimentaire qui soulève des questions philosophiques significatives, qui pèse plus de 140 milliards de dollars par an, occupe près du tiers des terres de la planète, modifie les écosystèmes océaniques et pourrait bien déterminer l’avenir du climat terrestre.

 Les barons de l’élevage industriel savent que leur modèle d’activité repose sur l’impossibilité pour les consommateurs de voir (ou d’apprendre) ce qu’ils font. Personne aujourd’hui ne peut nier cet évènement, à savoir les proportions sans précédent que les hommes font tout ce qu’ils peuvent pour dissimuler ou pour se dissimuler cette cruauté, pour organiser à l’échelle mondiale l’oubli ou la méconnaissance de cette violence. Foer déclare « Tout au fond de moi, quelque chose – de raisonnable ou de déraisonnable, d’esthétique ou d’éthique, d’égoïste ou d’altruiste – refuse tout simplement que cette viande entre dans mon organisme.» Je termine avec ces quelques phrases qui résument bien sa pensée.

«Cette souffrance infligée aux animaux est-elle plus importante que les sushis, le bacon ou les chicken nuggets ? Là est la question.» Une question qui assaille, qui dérange, qui perturbe notre quiétude alimentaire.

 

 

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